Pour les Grecs, l’hybris, c’est-à-dire la démesure, qualifie au premier chef la négation des limites qui séparent les mortels des immortels. Moult mythes, comme on le sait, mettent en scène ce franchissement des bornes qui se retourne contre le héros. Fille de Thémis, la Loi éternelle, Diké règle les rapports humains face à la tentation toujours renouvelée de la démesure : elle est la justice qui bat le rappel de la finitude, c’est-à-dire de la démesure. Mais si les Grecs accordèrent tant d’importance à la mesure, c’est qu’ils étaient conscients que le monde et la vie étaient caractérisés par une sorte d’hybris primordiale. La mission des hommes était alors conçue comme l’aménagement d’un espace habitable au sein de l’apeiron.
Tout se passe comme si le monde moderne avait inversé le rapport de la mesure et de la démesure : toutes les finitudes, celles de la Terre, de la vie, du corps, etc., sont appelées à être dépassées. La liste des performances, des prouesses et des records forme alors la trame et le sens de l’Histoire dont la l’extrémité de la flèche se perd dans l’horizon de l’infini.
Cette logique se trouve au cœur de l’économie et du management modernes et contemporains. Comme le souligne Jean-François Mattéi dans Le sens de la démesure (Sulliver, 2009, p. 17 ), « si les processus sociaux, politiques, économiques, financiers, mais aussi scientifiques, techniques et, finalement, vitaux, commandent l’existence entière des hommes, dans un développement sans fin, alors aucune limite morale ni aucune mesure politique ne peuvent régir les contenus des changements qui se déroulent en dehors de la volonté humaine ». C’est que la mesure, pour mesurer, nécessite l’existence d’un point de vue sinon supérieur du moins extérieur – une Idée chez Platon – d’où le jugement émane.
La journée d’étude du 20 novembre 2023 a pour objet d’explorer le rapport de la mesure et de la démesure au sein des organisations contemporaines. Toutes les disciplines des sciences de gestion se trouvent concernées par cet appel :
– le marketing et l’infini du désir humain ;
– la GRH et la démesure de la mobilisation des êtres humains;
– la finance et l’accumulation des richesses ;
– la gestion de la production et son leitmotiv de l’amélioration continue; – etc.
Cet événement, co-organisé par l’IPC et l’IAE Metz School of Management, se veut « transdisciplinaire » : non seulement parce que la réflexion sur le management se nourrit bien évidemment de l’apport de toutes les sciences humaines, mais également parce qu’il est toujours fructueux de réunir dans une même salle des gestionnaires, des philosophes, des sociologies, des anthropologues, …